Des journalistes pas très libres
LAHOUARI ADDI (Professeur de sociologie – Lyon) / CHENIKI (Le Quotidien d’Oran)
Le quotidien Oran 28 février 2001
Le chroniqueur, l’intellectuel et le non-dit
Par Lahouari Addi *
Pour la deuxième fois, en moins de six mois, Ahmed Cheniki s’en est pris nommément à Mohamed Harbi dans sa chronique hebdomadaire (voir Le Quotidien d’Oran du 15 février 2001) et, à travers ce dernier, aux intellectuels algériens installés à l’étranger qui, selon lui, ont dû montrer «patte blanche pour avoir des postes à l’université où ils enseignent».
Pour avancer pareille chose, il faut ignorer les procédures de recrutement dans les universités européennes. Ce ne sont pas cependant tous les intellectuels qui agacent A. Cheniki, respectant toutefois ceux qui ne s’engagent pas et qui ne signent pas des pétitions, bref ceux qui ne font pas la politique, comme Mohamed Dib qu’il cite et qu’il admire pour avoir quitté le pays dès 1962.
Drôle de position de la part d’un journaliste que l’engagement politique agace dans un pays où la violence fait des dizaines de morts par semaine!
Le commentaire de jeudi dernier, un de trop, est autant contestable dans sa globalité qu’incohérent dans de nombreux de ses arguments spécieux. L’un de ces arguments est que, ayant quitté le pays, l’intellectuel est coupé des réalités et n’a donc pas d’informations. Il suffit pourtant d’ouvrir un journal algérien pour constater que même ceux qui sont restés au pays ne sont pas plus informés, puisque précisément les journalistes n’informent pas leurs lecteurs; ils leur donnent des leçons de morale en exprimant leurs propres opinions personnelles, mais n’informent pas, et surtout ne sollicitent pas l’opinion des lecteurs sur des questions aussi brûlantes que la commission d’enquête internationale. En ouvrant un journal algérien, à l’exception des faits divers, et des espaces interminables de publicité (juteuse), le lecteur à l’impression que l’opinion publique n’existe pas, alors qu’elle s’exprime dans la rue, dans les cafés, dans l’espace domestique. Cette carence fondamentale n’est certainement pas de la responsabilité du journaliste, mais le fait est que l’Algérien à l’extérieur ou à l’intérieur n’est pas informé des évènements dans le pays et cette défaillance a des raisons politiques. Le journaliste en Algérie n’a pas le droit d’exercer son métier - celui d’informer - se croyant libre parce que le pouvoir réel l’autorise à critiquer et à insulter les titulaires du pouvoir formel. La presse algérienne se réduit à la critique irrespectueuse du Président, des ministres, de l’opposition, mais ne parle jamais de ceux qui exercent l’autorité politique, sauf sous le terme neutre de «décideurs» dont les conclaves sont secrets. Qui sont-ils? Pourquoi décident-ils? Qui les a investis de cette Autorité de décider? Autant de questions dangereuses. Que reste-t-il au journaliste?
Réduit à donner son opinion personnelle, payé pour insulter, il se croit au-dessus de la déontologie, convaincu qu’il est seul dans le vrai. Usant de son privilège permanent de réponse, il agresse en étant assuré d’avoir le dernier mot dans son journal. Il utilise son stylo comme le militaire exhibe sa kalachnikov pour imposer Président et députés, comme le terroriste manie le couteau pour épurer une société tentée par la liberté d’expression. Il prolonge ainsi la violence physique des militaires et des islamistes par la violence verbale qui accuse, exclut, jette l’opprobre. La dernière victime du chroniqueur-moraliste Cheniki est l’intellectuel qui, sans kalachnikov et sans couteau, est une proie facile. Quel courage monsieur le chroniqueur! Sans rire, Cheniki dénie le droit à l’intellectuel algérien installé à l’étranger d’exprimer son inquiétude, son indignation après les massacres de Berrouaghia, Médéa, et surtout lui refuse le droit de demander des enquêtes pour arrêter et juger les criminels de tels massacres... sous prétexte qu’il n’est pas Informé.
Et parce que Harbi représente cet intellectuel demandant une commission d’enquête internationale, Cheniki s’en prend à lui, lui reprochant en fait de ne pas être indifférent aux tueries quotidiennes qui endeuillent le pays. Si Harbi avait monnayé son passé de militant de la cause nationale et son aura d’intellectuel représentant la gauche du FLN de 1962 à 1965 en acceptant postes et gratifications, notamment le monopole d’importer la bière par exemple ou du sucre, s’il menait une vie de milliardaire entre Paris et Alger, Cheniki ne l’aurait pas critiqué.
Il aurait peut-être cherché à être dans sa cour pour bénéficier de quelques miettes de la prédation de la rente pétrolière. Ce qui gêne Cheniki, c’est que Harbi, fidèle à son engagement du 1er Novembre 1954, a continué d’être intègre et respectueux de son peuple. Ni son passé de militant d’où il aurait pu tirer une rente substantielle, ni sa position de Professeur d’histoire dans une université parisienne acquise sur la base de la compétence comme l’attestent ses écrits et ses conférences, ne l’ont coupé de sa société à laquelle il continue d’être attentif. Quand une société donne naissance à des hommes comme Harbi, cela signifie que l’espoir est encore permis dans cette société pour construire un espace public fondé sur des valeurs de respect et de construire la modernité dans le prolongement de l’authenticité, même si des archaïsmes sont encore à l’oeuvre, poussant à la violence. Car sans ces archaïsmes, c’est un homme comme Harbi qui devrait être Président, au lieu de tous ces «diwan el garagouz» que l’armée impose depuis la mort de Boumediène.
Ce qui manque à l’Algérie, c’est une direction porteuse de valeurs modernes dans la continuité de l’héritage de Novembre 1954, et ayant une vision historique d’avenir, consciente des limites idéologiques du mouvement national qui ont conduit aux faiblesses de l’Etat indépendant et à sa rupture avec la population.
Or qui mieux que Mohamed Harbi en Algérie pourrait incarner cette direction? Mais le chroniqueur n’en a cure. Il avait juste besoin de noircir du papier le mercredi tard dans la soirée pour justifier sa paye mensuelle de journaliste.
* Professeur de sociologie à l’Institut d’Etudes Politiques, Université Lumière Lyon 2
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ALGERIE
La liberté de la presse victime de l'Etat de non-droit
Reporters sans frontières - novembre 2002
Extraits :
"Le problème, c'est que non seulement les affaires de corruption
que l'on dénonce ne débouchent jamais sur des enquêtes […]
mais, qu'en plus, on est menacé pour avoir écrit ces articles !"
Un journaliste de Tizi-Ouzou
Attention, sujets tabous !
Aujourd’hui à Paris, le journaliste Youcef Zirem détient le record des démissions dans la
presse algérienne. Il est passé, en dix ans, par une quinzaine de rédactions. "J’ai été censuré
pour des sujets allant des plus anodins aux plus forts", raconte-t-il. En mars 1999, alors qu’il
travaille pour La Tribune, il rédige une chronique sur une émission de la télévision qui invite
les différents candidats à l’élection présidentielle. Il y épingle les prétendants à la plus haute
fonction de l’Etat. "Quand j’ai écrit sur la prestation du candidat Hamrouche, c’est passé.
Quand j’ai écrit sur celle du candidat Bouteflika, ce n’est pas passé . Comme s’il était déjà
Président ! " Pour lui, les sujets qu'on ne peut traiter sont nombreux : "la corruption, le statut
intouchable du DRS20, le poids des militaires dans la société, les droits de l’homme, etc. "
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Article de Youcef Zirem, paru dans le Jeune Indépendant, mars et avril 2001
La presse algérienne: Mirages et réalités
La presse algérienne pluraliste a onze ans. Aujourd'hui, pas moins de 37 quotidiens paraissent en arabe et en français. Présentée comme étant l'une des plus libres du monde arabe, souvent saluée, à raison, pour son courage face à un environnement hostile, la presse algérienne constitue également un alibi pour un système obsolète qui n'admet aucun changement véritable. Ici, un état des lieux de ce secteur dont on a beaucoup parlé mais qui demeure, à bien des égards, assez méconnu.
C'est le gouvernement de Mouloud Hamrouche qui, en 1990, supprime le monopole de l'Etat sur les médias. Pour aider au démarrage de la presse privée, il offre aux journalistes du secteur public trois ans de salaire. Outre des avantages bancaires et des exonérations d'impôts, les professionnels de la presse bénéficient de locaux publics opérationnels. C'est ainsi que naissent les quotidiens El Watan, le Soir d'Algérie ou El Khabar. Première publication privée, le Jeune Indépendant, un hebdomadaire fondé par Chafik Abdi, paraît en mars 1990. A la même période, les journaux partisans font aussi leur apparition. El Mounqid, un hebdomadaire en langue arabe appartenant au FIS, atteint des tirages de 500 000 exemplaires. Le RCD lance l'Avenir et Assalu, un journal en langue berbère. Le FFS reprend Libre Algérie, un journal fondé à Paris par Ali Mecili. Alger Républicain reparaît avec une ligne éditoriale proche du PAGS. Le MDA fait sortir El Badil tandis qu'El Châab, quotidien étatique de langue arabe et El Moudjahid continuent de rouler pour le FLN. En peu de temps, les journaux dits "indépendants" fidélisent un large lectorat grâce à leur critique des hommes politiques et à leur dénonciation de certaines affaires louches. Mais les véritables décideurs du système algérien ne sont guère inquiétés par l'ensemble de ces journaux. Lorsque Mouloud Hamrouche est limogé, les marges de manœuvre de la presse diminuent. Le nouveau chef de gouvernement, Sid Ahmed Ghozali, commence par suspendre l'édition arabophone de Parcours maghrébins, un hebdomadaire du secteur public. Raison invoquée : la publication d'un texte d'Ali Benhadj, le numéro deux de l'ex-FIS, emprisonné. La situation de la presse se complique davantage avec l'arrêt du processus électoral des législatives en janvier 1992. La majorité des titres applaudissent l'option des décideurs et oublient subitement que des élections venaient d'être organisées. A grand bruit, la presse salue la naissance du CNSA (Comité national de sauvegarde de l'Algérie), une structure née pour défendre la démarche des décideurs. Le 22 janvier 1992, des journalistes d'El Khabar sont interpellés par les gendarmes à cause d'un encart publicitaire du FIS paru dans le journal. Le texte en question est signé par Abdelkader Hachani et appelle l'armée à respecter le choix du peuple. Les décrets de l'état d'urgence (9 février 1992) et celui relatif au terrorisme et à la subversion (octobre 1992) réduisent encore plus la liberté de la presse. Mais les responsables des journaux ne se plaignent pas. Au contraire, ils cautionnent l'arrêté ministériel du 7 juin 1994 (un texte resté confidentiel) qui définit le cadre de l'information "sécuritaire" et qui n'autorise à la publication que les bilans officiels des attentats. Cette réaction n'est guère une surprise puisque la majorité des directeurs de journaux font partie, eux même, du système. En effet, très peu de responsables de publications en Algérie n'ont pas transité par les journaux du parti unique. C'est d'ailleurs eux qui, dans bien des cas, se chargent d'exercer la censure dans les rédactions. En peu de temps de pluralisme médiatique, on commence à parler de "patrons de presse" et certains actionnaires de journaux gagnent un argent fou. Le terrorisme aidant, la vente des journaux ne décline pas.
Entre-temps, près de 70 journalistes ont été tués par les groupes armés. Des assassinats dont on n'a jamais retrouvé les auteurs. Au terme d'un coma d'une semaine, Tahar Djaout, directeur de rédaction de l'hebdomadaire Ruptures, succombe à ses blessures. Victime d'un attentat le 26 mai 1993, devant son domicile à Baïnem, petite bourgade côtière à l'ouest d'Alger, cet écrivain de renommée internationale est le premier journaliste assassiné. L'élimination de Tahar Djaout secoue les esprits. Le pouvoir s'empresse de trouver les auteurs du crime. Le 1er juin 1993, la télévision diffuse les images d'Abdellah Belabassi qu'on présente comme l'un des meurtriers du journaliste. Abdellah Belabassi soutient avoir conduit les assassins sur les lieux du crime. Selon lui, c'est Abdelhak Layada, chef d'un groupe armé, qui en est le commanditaire. Mais Abdelhak Layada est acquitté dans l'affaire de l'assassinat de Tahar Djaout lorsqu'il est jugé, en juillet 1994, par une cour spéciale pour son implication dans plusieurs attentats. Abdelhak Layada était au Maroc quand Tahar Djaout a été tué. Abdellah Belabassi, quant à lui, s'entraînait avec son équipe de handball au moment de l'attentat. Entre 1993 et 1997, près de 70 professionnels des médias dont 52 journalistes sont assassinés. Les auteurs de ces crimes n'ont jamais été arrêtés. Il suffisait aux autorités de dire que c'était l'œuvre du GIA pour fermer le dossier de toute liquidation physique touchant les journalistes. Cette façon de procéder était également de mise pour les autres assassinats. Mis à part le cas de Tahar Djaout, la presse elle-même n'a pas fait l'effort d'exiger la moindre enquête sur ces assassinats. Un "comité vérité" sur l'assassinat de Tahar Djaout avait été installé, mais il avait cessé d'activer après l'élimination de quelques uns de ses membres (tels que Saïd Mekbel, célèbre chroniqueur au journal le Matin, tué le 4 décembre 1994, ou le psychiatre de renommée internationale, Mahfoud Boucebsi, assassiné à l'arme blanche le 15 juin 1993). Le 12 avril 1997, vers minuit, quatre personnes en tenue civile, armés de revolvers, frappent au domicile d'Aziz Bouabdellah, à Chevalley, sur les hauteurs d'Alger, et crient : "Police, ouvrez !" Journaliste au quotidien arabophone El Alem Essiassi, Aziz Bouabdellah (âgé alors de 23 ans) est enlevé. Les recherches de ses parents au niveau de la police et de la gendarmerie ne donnent rien du tout. Les lettres adressées aux plus hautes autorités du pays ne font pas également avancer leurs investigations. Dans cette affaire aussi, peu de journalistes se sentent concernés par la disparition d'Aziz Bouabdellah. Journaliste à la radio, Djamil Fahassi disparaît non loin de son domicile, dans le quartier d'El Harrach, dans l'après-midi du 6 mai 1995. Père d'une petite fille, il avait laissé son enfant à la garde d'une personne de sa famille pour aller chercher de quoi manger. Condamné en 1991 à trois mois d'emprisonnement par le tribunal de Blida pour avoir rédigé un article paru dans El Forqane, un hebdomadaire de langue française du FIS dans lequel il critiquait l'armée, Djamil Fahassi est encore arrêté au début de l'année 1992 et il est parmi les 10 000 autres personnes envoyées dans les camps du Sud. Il passe 6 semaines dans un camp d'internement à Aïn Salah. Il est ensuite libéré sans avoir été inculpé ni jugé. Passionné de littérature universelle (grand admirateur de Yukio Mishima), Djamil Fahassi est toujours porté disparu. Un autre journaliste est également porté disparu et il a fallu attendre la mission de RSF en Algérie, au début de l'été 2000, pour que son cas soit rendu public. Il s'agit de Salah Kitouni, journaliste à Ennour, une publication qui paraissait à Canstantine et proche des thèses islamistes.
La honte nationale
"Le RND a tenu son congrès, ce week-end, dans un climat de cynisme, d'hypocrisie et d'indécence incroyables. [...] Dans un discours pure langue de bois, qui n'a ni sens ni consistance, son président "autodésigné" ose dire que le "RND se tient aux côtés des nécessiteux." Le culot et l'impertinence d'une telle affirmation ne peuvent échapper à personne. Les "militants" les plus connus du RND sont des locataires attitrés des luxueuses demeures de la résidence d'Etat de Club des Pins, que d'aucuns nomment le Jurassik Park. Savent-ils encore ce qu'est un "Algérien nécessiteux" ? Savent-ils comment vivent les Algériens dans les quartiers populaires des grandes villes, entassés les uns sur les autres, vivant au-dessous du seuil de pauvreté et dans une promiscuité indescriptible ? Savent-ils comment vivent les Algériens de l'intérieur sur les Hauts Plateaux ? Comme des moutons guettant chaque nuit, la peur au ventre, l'arrivée des égorgeurs. Savent-ils comment vivent les Algériens du Sud oubliés du développement ? Non, ils ne savent rien de tout cela. Ils sont coupés du monde qui les entoure. Isolés dans leur propre pays, ils ne sortent, accompagnés de leur escorte, que pour se rendre à leurs bureaux. On ne les a jamais vus se promener seuls dans la rue en compagnie des Algériens normaux, ni partager "leurs nécessités". "La création du RND est une insulte à l'intelligence et à la mémoire collective des Algériens [...].", écrivait Sâad Lounès dans l'éditorial du quotidien El Ouma du 5 avril 1997, au lendemain du premier congrès du RND, parti créé principalement par le général Mohamed Betchine, conseiller du président Liamine Zeroual. La réaction des autorités à ce texte osé ne se fait pas attendre.
Le mercredi 9 avril 1997, un huissier se présente à l'imprimerie Sodipresse (unique imprimerie privée de la presse algérienne) pour signifier la saisie des biens de l'imprimerie et la mise sous scellés de la rotative. Le lendemain, Sâad Lounès, directeur d'El Ouma, se rend à la brigade de gendarmerie pour protester contre cette mesure qu'il considère comme illégale. Le chef de brigade en informe le procureur qui lui demande de garder le journaliste dans ses locaux jusqu'à réception de nouvelles instructions. Ces dernières arrivent vite. Le procureur rappelle le chef de brigade pour l'informer que Saâd Lounès était recherché par mandat d'arrêt du tribunal de Chéraga, dans l'Algérois, pour émission de chèque sans provision, qu'il transmet par fax. Le journaliste est alors emmené, sous bonne escorte et présenté au procureur de Chéraga qui, après plusieurs consultations téléphoniques avec ses chefs, place Sâad Lounès sous mandat de dépôt à la prison d'El Harrach. Le lundi 14 avril 1997, le directeur d'El Ouma est présenté à l'audience publique du tribunal de Chéraga où son avocat demande le report du procès. Le juge refuse la liberté provisoire obéissant ainsi à une circulaire du ministre de la Justice de l'époque, Mohamed Adami, un homme du général Mohamed Betchine, qui interdisait aux magistrats d'accorder la liberté provisoire. A l'audience du 28 avril 1997, le directeur d'El Ouma est condamné à 30 mois de prison ferme. Rejugé en appel à la cour de Blida, après plusieurs audiences, Sâad Lounès est libéré le 15 juin 1997. Entre-temps, peu de voix parmi la presse algérienne se sont élevées pour stigmatiser ces dépassements. Ce n'est pas le cas quand certains journalistes, proches d'un clan du pouvoir, ont ce genre de problèmes."[...] Si le RND réussit "par miracle" à glaner la majorité des sièges, les germes générateurs de violence et de terrorisme seront à nouveau plantés. Et à ce moment-là, la sécurité nationale ne connaîtra pas le répit tant attendu", ajoutait Sâad Lounès dans son fameux édito intitulé "Le parti de la honte nationale". Créé le 21 février 1997, le RND gagnait, grâce à la fraude électorale massive, les élections législatives du 5 juin 1997. Exactement comme prévu par Sâad Lounès qui notait que "parmi la foule de gens qui se sont embarqués dans cette malheureuse aventure du RND, sur la lancée des deux derniers scrutins présidentiel et référendaire, il y en a beaucoup qui l'ont fait avec l'idée qu'ils pouvaient impunément ''ficeler'' les élections et remporter facilement la ''majorité absolue''".
Lorsqu'au printemps de l'année 1995, le président Liamine Zeroual installe le HCA (Haut-Commissariat à l'amazighité), il prononce un discours. La télévision algérienne montre les images de l'événement, mais les téléspectateurs n'entendent pas la voix du chef de l'Etat. Les journalistes de la télévision ne savent même pas qui a décidé de censurer les propos du premier magistrat du pays. Non, en réalité, tout le monde sait ce qui s'est passé, mais c'est ainsi que fonctionne la machine. "La télévision algérienne est une machine qui fonctionne à coups de téléphone", avoue un jeune journaliste de ce média lourd. Mais d'où proviennent ces coups de téléphone ? "Leur origine peut être multiple, mais souvent ils émanent des cercles décideurs", estime une journaliste de la télévision. Quand l'AIS décrète, à l'orée de l'automne de l'année 1997, une trêve unilatérale, suite à des accords passés avec l'ANP, la télévision algérienne lit, dans son journal de 13 heures, l'intégralité du communiqué de Madani Mezrag, chef de l'Armée islamique. Mais dans la soirée de la même journée, l'information est passée sous silence. En quelques heures, les directives venues d'en haut ont changé. Dans la journée, les hommes d'un clan du pouvoir ont exigé la lecture du communiqué de l'AIS. Dans la soirée, le général Mohamed Betchine a envoyé ses hommes pour censurer l'information. Ancien responsable des services secrets, Mohamed Betchine, devenu conseiller du président Liamine Zeroual, avait entamé des discussions avec les islamistes avant de les interrompre lorsque le chef de l'Etat avait estimé que le "dossier du FIS est clos". Au même moment, d'autres cercles du pouvoir ont continué les investigations visant à établir un accord avec l'AIS et ont, par la suite, atteint leur but. L'une des raisons de la démission de Liamine Zeroual, le 11 septembre 1998, est en rapport avec son refus de cautionner politiquement l'accord entre l'ANP et l'AIS. Durant la campagne électorale des présidentielles anticipées du mois d'avril 1999, le candidat Abdelaziz Bouteflika est le favori des décideurs. Toutes ses activités sont soigneusement filmées par les équipes spéciales de l'ENTV et les journalistes qui l'accompagnent sont sélectionnés. Ceux que l'on soupçonne de "rouler" pour Mouloud Hamrouche sont automatiquement écartés de la sphère. Les activités des autres candidats sont également montrées mais quand les "6" décident de se retirer de la course au poste de premier magistrat du pays, ils sont subitement interdits d'antenne. Qui a pris la décision d'ignorer les six candidats ? C'est encore un coup de fil. Mais pourquoi les journalistes de la télévision ne réagissent-ils pas à ces directives qui biaisent leur travail et leur enlèvent toute crédibilité ? Beaucoup d'entre eux confient, en privé, qu'ils ne sont que de "simples fonctionnaires obligés de gagner leur pain". Cependant, ces "fonctionnaires" profitent du système : logements et terrains à bâtir sont mis à la disposition des plus "serviles". Ceux qui, peu nombreux, sont réticents devant ce processus de normalisation autoritaire peuvent être inquiétés s'ils ont, par exemple, un problème avec le service militaire. Ces pratiques se retrouvent aussi dans le secteur de la presse privée. Ainsi, les éditeurs de ces publications dites indépendantes reçoivent régulièrement des logements de la part des autorités, logements qu'ils distribuent, à leur tour, à leurs protégés quand ils ne les revendent pas au prix fort dans un pays où la crise du logement fait des ravages. Après l'assassinat, le 18 octobre 1993, de Smaïl Yefsah, journaliste à la télévision, ses confrères de l'ENTV avaient, par miracle, réussi à rédiger un communiqué dans lequel ils disaient qu'ils voulaient simplement faire leur métier sans prêter main forte aux deux principaux belligérants de la crise algérienne, mais aucune suite n'a été donnée à ce texte. La routine a vite repris le dessus et de nombreux journalistes de l'ENTV sont allés sous des cieux plus cléments. Certains d'entre eux sont en train de mener des carrières professionnelles enviables au sein surtout des télévisions arabes du Moyen-Orient.
La télévision algérienne changera-t-elle un jour ? Intimement liée au système, l'Unique, comme elle est désignée par la vox populi, sera le parfait miroir des désirs et des volontés des décideurs. Il n'y a que la démocratisation véritable du pays qui pourra apporter un changement à cette douloureuse réalité. Cependant, cette démocratisation réelle est elle-même un processus complexe auquel les journalistes peuvent largement contribuer, y compris ceux de l'ENTV.
Descente à l'hôtel
Il fait nuit et légèrement froid. Les journalistes hébergés, pour raison sécuritaire, à l'hôtel El Manar de Sidi Fredj ont le temps de discuter entre eux des derniers développements de la scène politique. C'est la fin du mois de février 1997 et la création du RND, parti présidentiel, occupe les débats. Deux jeunes hommes, bien habillés, descendus d'une voiture de luxe, se pointent à la réception de l'hôtel et demandent à voir Fayçal Métaoui, journaliste au quotidien El Watan. C'est la troisième fois dans la journée qu'ils viennent discuter avec les employés de l'hôtel. Cette fois, ils ont atteint leur but : Fayçal Métaoui est là. Avec discrétion, ils accostent le jeune journaliste et lui font part de l'objet de leur visite. Fayçal Métaoui met au courant quelques collègues de l'ordre que lui intiment les deux agents du DRS (Département renseignement et sécurité, héritier de la puissante Sécurité militaire). Accompagné de ses amis et des deux agents, Fayçal Métaoui fait ses bagages , accepte de prendre quelques sous, rapidement ramassés par les collègues, et prend place dans la voiture de luxe des deux beaux gosses. Direction : la prison militaire de Blida. Directeur du quotidien El Watan où travaille Fayçal Métaoui, Omar Belhouchet arrive sur les lieux dix minutes plus tard mais il ne peut rien faire. Fayçal Métaoui est ensuite envoyé dans la caserne d'Aïn Arnat, près de Sétif, pour effectuer son service militaire. Considéré insoumis, comme des millions de jeunes de son âge, Fayçal Métaoui, né en 1968, à l'instar de Mohamed Laâgueb et Fouzi Sâadallah, journalistes de l'hebdomadaire arabophone El Houria, est incorporé au sein de l'armée à cause de ses écrits dérangeants. Après dix-huit mois passés à Aïn Arnat et Béchar, Fayçal Métaoui reprend sa place dans la rédaction d'El Watan. A bien des égards, il représente, avec certains de ses collègues dans d'autres rédactions, la force de la presse algérienne. Fayçal Métaoui et ses semblables recherchent le maximum de liberté d'expression et d'indépendance, malgré les nombreux écueils que les éditeurs et le pouvoir ne cessent de dresser sur leur chemin. Fayçal Métaoui fait partie des rares journalistes qui ont essayé de parler des droits de l'homme et des disparus, au moment où tout le monde ne cherchait qu'à se taire et éviter ainsi les problèmes. D'autres jeunes journalistes ont choisi ce chemin sinueux malgré leurs conditions de vie souvent déplorables. Ils sont, à bien des égards, à saluer. Durant l'été 1996, Chawki Amari, chroniqueur et caricaturiste de talent, né en 1964, est incarcéré pendant un mois à la prison de Serkadji pour une simple caricature parue dans le quotidien la Tribune. Malgré un large mouvement de protestation national et international, Chawki Amari ne sort pas indemne : il écope, le jour de son jugement, d'une peine de 3 ans de prison avec sursis. En réalité, Chawki Amari est ainsi puni pour ses deux années de chroniques osées publiées par le quotidien la Tribune. S'inspirant largement de Chawki Amari, Yassir Benmiloud, né en 1968, tente, dans la dernière page d'El Watan, d'égaler les prouesses écrites du caricaturiste. Ayant pour titre "Comme il a dit lui", ses chroniques ne tardent pas à avoir du succès. Dans l'une elles, Yassir Benmiloud attaque, de front, les véritables décideurs du système algérien. "[...] La question est la suivante : "Sommes-nous chez nous en Algérie ?" Habitons-nous chez Zeroual, chez Betchine ou chez Toufik ? Ces trois noms sont connus des Algériens et n'ont rien de tabou. Le premier est le président de la République à temps partiel. Le second est conseiller du premier. Le troisième est au courant de tout ce que font les deux premiers. Mais il faut que ces braves gens comprennent que l'Algérie est un Etat, une nation, avec ses périphériques tribaux et géographiques. Monsieur Zeroual, l'Algérie, c'est chez nous. Monsieur Betchine, l'Algérie est à nous. Monsieur Toufik, l'Algérie est notre adresse malgré vos maladresses. Tant que vous continuerez à gérer ce territoire comme un gâteau, les miettes risquent de vous rester en travers de la gorge. Souvenez-vous d'Octobre 1988. Si vous insistez, on peut vous refaire la même performance, et vous aurez beau tirer dans le tas, cette attitude serait aujourd'hui internationalement invendable. Alors, très peu de possibilités s'offrent à vous : soit vous démocratisez avec un minimum de sérieux, soit vous verrouillez avec un maximum de khorty. Prenez simplement conscience que vous ne pourrez jamais diriger un pays dont les habitants vous vomissent [...]", écrit Yassir Benmiloud. Les ennuis commencent alors pour lui. Dans son livre l'Explication (publié chez J.-Claude Lattès en 1999), il raconte une partie de ses démêlés avec les autorités.
Mardi 26 octobre 1999, le quotidien Liberté ne met pas de gants pour attaquer ouvertement Amnesty International. A la une de ce journal et dans son éditorial, la publication appartenant au milliardaire Issaâd Rebrab accuse l'ONG d'être un marchand d'armes. Liberté écrit que, selon l'hebdomadaire satirique français le Canard enchaîné du 20 octobre 1999, Amnesty International et l'ONG Agir Ici "sont directement impliquées dans le génocide au Rwanda. Elles ont joué un rôle dans la livraison d'armes avec la complicité d'organismes officiels". L'éditorial, signé par Outoudert Abrous, un ancien haut fonctionnaire du ministère de la Culture et de la Communication, abonde dans le même sens. En réalité, dans l'article "Des états d'armes inquiétants", le Canard enchaîné n'a nullement développé de telles thèses. "Des tonnes de fusils, de pistolets, de mitrailleuses, de munitions françaises ont atterri au Rwanda entre 1988 et 1994, dans des conditions plus proches du trafic d'armes que du commerce officiel. Avec l'aide de deux ONG, Amnesty International et Agir Ici, l'Observatoire des transferts d'armements a publié, fin septembre, un passionnant rapport que personne n'a, semble-t-il, pris le temps de lire. Or il devrait faire grincer quelques dents", écrivait le Canard enchaîné. Il est donc impossible que la une et l'éditorial de Liberté soient le résultat d'une lecture erronée du journal français. Il s'agit bien d'une désinformation délibérée au moment où Amnesty International s'apprêtait à se rendre en Algérie. Ancien reporter sportif du quotidien gouvernemental Horizons, l'auteur de l'article en question fait partie d'un groupe de journalistes qui travaillent étroitement avec des cercles du pouvoir.
Le 27 mai 1998, Lila H. est à son travail au siège de wilaya du RCD, situé à la rue Didouche-Mourad d'Alger. Vers 14 heures, Hocine Nia, député et vice-président du parti, accompagné d'un député du RND font leur entrée. Après les présentations d'usage, le député du RND, raconte Lila, "s'approche de moi et me demande de venir faire l'amour avec lui". La jeune fille est secouée et attend une réaction de la part de Hocine Nia qui ne vient pas. "J'avoue que je ne m'attendais pas à entendre de telles obscénités à mon encontre dans le siège du parti et encore plus devant mon deuxième vice-président qui n'a réagi à aucun moment", affirme Lila. La jeune fille rédige alors, le jour même, un rapport qu'elle adresse au président du bureau national d'Alger du parti, au secrétariat national à l'organique et au premier vice-président du parti. Aucune réaction. Lila tente une seconde série de recours adressés, cette fois-ci, à la commission nationale de discipline, au docteur Saïd Sadi, président du RCD, et à Khalida Messaoudi, troisième vice-présidente du parti et chargée de la condition féminine. Au même moment, les militants de base du RCD entament un mouvement de fronde, matérialisé par une pétition. Au bout de la 74e signature, Lila H. se fait convoquer par Amara Benyounès, premier vice-président du parti. Après avoir écouté ses doléances, l'actuel ministre des Travaux publics lui signifie qu'"il n'y aura pas de problèmes à condition qu'elle arrête la pétition et qu'elle calme les militants". Mais avec la mort de Matoub Lounès, l'affaire de Lila H. est complètement oubliée. Elle est même classée. "Il n'y a eu ni commission de discipline, ni droit de femmes, ni militantisme, ni justice, ni démocratie au sein du RCD", estime Lila H. En décidant de rendre publique son affaire, la jeune militante du RCD se rapproche de la presse dite indépendante, mais elle comprend vite que le RCD, entre autres, dispose d'une certaine immunité médiatique auprès des médias. Seuls les quotidiens El Alem Essiassi et l'Authentique acceptent de parler de son affaire au mois de mai 1999. " Si j'ai pris la décision de rendre cette affaire publique, c'est pour informer l'opinion de la réelle vérité des personnes qui se réclament être les leaders de la démocratie", souligne Lila H.
Une bataille inutile
Véritable machine de guerre, l'Hebdo libéré, dirigé par Abderrahmane Mahmoudi, grâce à l'argent de Mohamed Meguedem (chef du département de l'information à la présidence de la République en 1989), a atteint, au début de l'année 1992, des tirages de 100 000 exemplaires. L'hebdomadaire en question ne se gêne pas pour développer un discours haineux. "Il est inutile de vouloir nier que deux peuples s'y côtoient encore, mais ne s'y rencontrent plus. Un peuple de retour au passé et du conservatisme le plus féroce et un peuple du progrès et de la modernité. Aucun point commun ne lie plus ces deux sociétés. Aucun référent culturel ni politique. Aucune règle de convivialité ne saurait maintenant rassembler autour d'une même table deux sortes d'Algériens qui se considèrent comme totalement étrangers les uns aux autres. Que ce soit par l'habit, les formules de politesse ou les rites sociaux, tout au contraire pousse à la différenciation et au rejet mutuel", écrit Abderrahmane Mahmoudi dans le numéro du 7 au 13 janvier 1993. Abdelkrim Djaâd estime dans la même publication que "les deux peuples vont s'entretuer". Le futur directeur de l'hebdomadaire Ruptures, candidat malheureux aux législatives de décembre 1991, sous les couleurs du RCD, ose expliquer que "en oubliant de considérer les réalités, le pouvoir, les candidats, les partis et les électeurs intelligents sont tous coupables d'avoir contribué à la tenue de ces élections". L'ancien journaliste de l'hebdomadaire étatique Algérie Actualité se demande presque comment on a osé donner aux Algériens la possibilité de voter "dans un pays où un adulte sur deux ne sait même pas lire un chiffre" ! Abderrahmane Mahmoudi parle d'affrontement quelques jours avant l'assassinat de Mohamed Boudiaf. "Modernistes d'un côté, traditionalistes de l'autre, les Algériens en viendront assez rapidement à régler leurs problèmes identitaires par des moyens pas nécessairement pacifiques. […] Commandos contre commandos, chacun imposera le respect de ses convictions les armes à la main", soutient-il dans le numéro du 10 au 16 juin 1992. Abderrahmane Mahmoudi est quand même lucide en imaginant l'issue de la guerre qui s'annonce. "Si bataille il y a, ce qu'à Dieu ne plaise, elle sera violente, sanglante, meurtrière et parfaitement inutile. Et ce ne seront ni les commandos d'Afghans ni les commandos progressistes qui souffriront le plus. Les écrans de télévision nous renvoient déjà les larmes des mères et des enfants innocents qui ne comprendront jamais qu'on puisse tuer pour faire semblant de vivre", fait-il remarquer. Dans cette bataille inutile, Nadir Mahmoudi, frère d'Abderrahmane, trouve la mort lors d'une attaque commando contre le siège de l'Hebdo libéré, le 21 mars 1994. Ancien capitaine des services de renseignement, avant de devenir écrivain et directeur de l'excellente revue paraissant à Paris, Algérie Littérature Action, Aïssa Khelladi est l'un des premiers journalistes à envisager un coup d'Etat au début de l'année 1992. Dans un numéro de l'Hebdo libéré (du 1er au 6 janvier 1992), il donne des recettes pour la réussite d'une telle entreprise. "Or, pour être fiable, en 1992, un coup d'Etat ne peut se placer que dans la perspective de défense de la démocratie. La seule force à même de cautionner l'ANP, dans cette perspective, est le FFS, puisque tous les autres partis ont disparu. On peut même pousser plus loin cette logique : une dictature militaire qui fait appel à un civil pour garantir son image de marque et pour préserver aussi bien les libertés démocratiques que le processus en cours, sous sa forme nouvelle. Ce civil, en l'état actuel, n'est autre qu'Aït Ahmed", écrit-il. Une semaine plus tard, les décideurs optent pour l'installation de Mohamed Boudiaf à la tête du HCE. Ancien membre fondateur du quotidien régional El Acil, Hichem Aboud était également un capitaine de la Sécurité militaire. Après un passage au sein de la rédaction du quotidien l'Opinion, il fonde en mars 1994, le Libre, un hebdomadaire vite suspendu par les autorités. Depuis la France où il se réfugie, Hichem Aboud accuse le général Mohamed Betchine d'avoir torturé des manifestants en octobre 1988 et de détournements de biens de l'Etat. Pour Hichem Aboud, l'ancien patron des services n'avait pas "digéré sa mise à l'écart de la scène politique en 1990", et de ce fait, il se réjouissait de la détérioration de la situation en espérant un retour aux affaires." Aigri, Betchine a été jusqu'à jubiler en apprenant l'assassinat de Boudiaf. Non pas qu'il était contre Boudiaf, mais c'est qu'il s'attendait à voir le général Toufik "sauter" de son poste. Il me disait : "A sa place, je me serais tiré une balle dans la tête", raconte Hichem Aboud dans un droit de réponse publié par le quotidien le Matin (du 22 juillet 1999).
Placardé sur les murs de la maison de la presse Tahar-Djaout, un tract du SNJ (Syndicat national des journalistes) appelle, au début du mois de mars 2000, les professionnels de la presse à se mobiliser pour faire respecter leurs droits. "Les journalistes et travailleurs de la presse connaissent aujourd'hui une situation socioprofessionnelle lamentable, marquée par la précarité et l'absence de droits élémentaires. […] Nombreux sont les éditeurs qui violent allègrement la législation du travail. Ainsi, des salariés sont embauchés sans contrat de travail ou avec des contrats qui ne sont pas conformes à la réglementation. Des éditeurs emploient des travailleurs au noir, c'est-à-dire sans les déclarer à la sécurité sociale et à la Caisse nationale des retraites. Ils ne leur délivrent pas de fiche de paie. Quand ils le font, ces dernières ne sont pas conformes à la loi. Certains éditeurs emploient des "stagiaires" qu'ils paient largement en dessous du SMIG et qu'ils font en réalité travailler comme des permanents. Dans certains cas, les salariés font les frais de conflits opaques entre éditeurs ou d'une mauvaise gestion et ne sont pas rémunérés durant des mois. Alors qu'ils engrangent d'énormes profits, les éditeurs (à quelques exceptions près) ne prennent pas en charge, ou le font de manière très insuffisante, les questions d'hygiène, de sécurité et de médecine du travail", estiment les animateurs du SNJ. Au bout d'une dizaine d'années de pluralisme médiatique, un fossé s'est creusé entre les éditeurs, propriétaires des titres, essentiellement issus de la presse publique, et les journalistes. En un temps record, les éditeurs qui ont accepté les règles de jeu établies par les décideurs se sont fait des situations enviables. Durant toutes ces années de violences multiples, beaucoup de journalistes n'étaient même pas inscrits à la sécurité sociale. C'était le cas, par exemple, des journalistes de l'hebdomadaire la Nation dont la directrice de la rédaction, Salima Ghezali, a eu le prix Sakharov. On a trop parlé de certaines suspensions de titres par les autorités. En réalité, même les publications développant une forme de contestation constituaient, d'une façon ou d'une autre, un alibi démocratique au bénéfice du pouvoir. Les décideurs pouvaient, juste en invoquant les lois du travail bafouées, suspendre n'importe quel journal. "Face à leurs employés, certains éditeurs établissent des rapports empreints d'un autoritarisme d'un autre âge. Sûrs de leur impunité, ils se conduisent comme des roitelets qui bafouent la dignité élémentaire des salariés ainsi que la législation du travail. Les journalistes et les travailleurs de la presse qui osent défier cette toute puissance des éditeurs risquent tout simplement de perdre leur travail", peut-on lire dans le tract du SNJ. Pour les animateurs de ce syndicat, affilié à la FIJ, cette situation inique doit cesser. "Il n'est plus question de tolérer que des patrons de presse, qui dénoncent dans leurs journaux les atteintes à l'état de droit lorsque celles-ci sont le fait des autorités, bafouent eux-mêmes la législation du travail", ajoute la déclaration du SNJ.
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