Saturday, December 31, 2005

Droits de réponse



ZEHOUANE (militant des droits de l’Homme) / CHENIKI (Le Quotidien d’Oran)

LE QUOTIDIEN D’ORAN Jeudi 22 juillet 2004

Les paradoxes de la presse algérienne

Par Ahmed Cheniki

La presse ne cesse de faire l’actualité depuis déjà longtemps, bien avant les événements de 1988 qui ont vu l’émergence d’une presse privée dont la naissance est traversée par de multiples paradoxes.
Ces journaux qui se qualifient outrageusement d’indépendants (un mot très à la mode à l’époque un peu partout dans le monde) viennent du secteur public qui a, lui aussi, a connu de sérieuses contradictions. Ainsi, quelques animateurs des nouveaux titres privés étaient marginalisés dans un secteur public où le plus souvent les plumes les plus médiocres, parfois collaborateurs des services de sécurité, se retrouvaient placés aux fonctions les plus élevées. C’est le cas également aujourd’hui pour des titres publics qui, par la grâce de gouvernements trop peu confiants et manquant gravement de rigueur, vivent de publicités de l’Etat tout en vendant un nombre très limité d’exemplaires. La parole de quelque ministre de la communication reste fragile et trop peu crédible. Les faits sont têtus.
Mais il faut signaler tout de même que, déjà bien avant l’apparition de cette presse privée, que des journalistes, certes peu nombreux, se sont battus pour changer les choses, défiant étiquetages faciles et répression politique et policière.
Cette quête de liberté n’est nullement récente, même si aujourd’hui d’anciens piètres journalistes, trop conformistes, souvent sans titre universitaire (même si ce n’est pas une condition sine qua non de la compétence) se muent en extraordinaires opposants et en irrépressibles chantres d’une cause à saisir. Depuis l’indépendance, quelques journalistes désiraient voir naître une presse professionnelle, moins arrimée aux différents pouvoirs qui ont gouverné cette Algérie trop bien attachés à de redondants slogans et d’éternels clichés. Ils exerçaient, en solitaires, dans différents journaux, sans cesse abreuvés d’étiquettes et d’anathèmes et fichés à merveille, parfois par certains qui sont toujours là, aujourd’hui autrement requinqués, mais qui, hier, se faisaient le porte-plume d’un wali trop peu inquiet ou d’un ministre parfois semi-analphabète.
La mode n’est pas définitivement épuisée. Il y avait dans les années soixante- soixante-dix, quelques signatures qui brillaient, mais dès qu’elles dépassaient les limites définies ou les bornes mises en œuvre par des directeurs ou des rédacteurs en chef dont souvent la fonction consistait à censurer toute parole professionnelle et libre, elles se faisaient taper durement sur les doigts. Déjà, les différentes chartes balisaient le jeu de l’écriture. La charte d’Alger, les deux moutures de la charte nationale, et les différents textes du FLN dessinaient les contours d’une presse fermée, marquée du sceau de la propagande et du mensonge par omission. Ce qui rendait toute écriture sérieuse peu possible. Une grève presque générale de la rédaction d’El Moudjahid durant une assez longue période n’a pas empêché ce quotidien de paraître ni de sensibiliser les dirigeants politiques du pays dont certains sont toujours aux commandes ou dans l’ « opposition ».
C’est dire la situation dans laquelle se cantonnait une presse où la censure, la diffamation officielle, les multiples interdictions de signature constituaient la culture de l’ordinaire.
Les années soixante dix allaient marquer un tournant décisif dans la presse algérienne. C’est durant cette période que furent recrutés un grand nombre de jeunes sortis directement des différentes universités. Ce qui allait provoquer un sérieux déclic dans une profession dominée par des autodidactes dont la grande majorité n’avait pas le BEPC (l’équivalent du brevet d’enseignement moyen) et, compte tenu de leur niveau d’instruction, ne pouvaient pas se permettre de s’aventurer à écrire des articles « objectifs », ce qui pouvait les entraîner à la porte de sortie.
Les décideurs de l’époque s’accommodaient bien de cette situation. Il y avait aussi quelques rares diplômés de l’enseignement supérieur, essentiellement sortis de l’école de journalisme, qui allaient sérieusement s’imposer avec le recrutement d’autres licenciés qui rompaient ainsi leur solitude.
Les choses changeaient, les nouveaux journalistes, même si un certain nombre d’entre eux étaient très marqués politiquement, ce qui donnait à l’écriture journalistique une dimension partisane, plus marquée par les jeux de décisions politiques, surtout dans les années soixante dix. Les luttes entre certaines rédactions et leur direction allaient se multiplier. Des journaux ont momentanément brillé par leurs qualités professionnelles comme La République et Algérie-Actualité, mais leurs directeurs sont vite renvoyés par les ministres de l’époque, Ahmed Taleb El Ibrahimi et Boualem Bessaih qui dira en aparté après le limogeage de Zouaoui Benhamadi de l’hebdomadaire Algérie-Actualité qu’il était contraint de le faire d’en haut. Même des secrétaires étaient « placées d’en haut » pour reprendre l’expression d’un directeur de cet hebdomadaire. Mais contrairement à certaines affirmations rapides, les luttes étaient féroces pour la conquête d’espaces d’écriture. Il faut savoir que l’appareil médiatique, surtout la presse écrite, renfermait plusieurs tendances, de militants de partis clandestins (FFS, PRS, PAGS, islamistes et groupes trotskystes) au FLN. Dans les années 80, à Révolution Africaine, l’organe central du FLN, il n’y avait qu’un seul adhérent de ce parti alors qu’il y avait des militants de partis clandestins.
Les contradictions et les paradoxes marquaient sérieusement cet appareil trop réfractaire aux grilles trop peu opératoires d’universitaires souvent prisonniers d’excessives généralisations et d’un sérieux déficit de méthode et de rigueur. Une analyse sérieuse de la presse en Algérie devrait prendre en considération tous les paramètres sociologiques, politiques et idéologiques. Il est trop facile et trop confortable de se limiter à un discours aux antipodes du savoir universitaire comme le fait très maladroitement, en restant prisonnier de schémas idéologiques réducteurs, un certain El Hédi Chalabi (La presse algérienne au dessous de tout soupçon) usant essentiellement de clichés et de stéréotypes bon marché. Un ancien membre du bureau politique du FLN des années 60, Hocine Zahouane, qui a préfacé l’ouvrage, oubliant les textes pondus à son époque, la charte d’Alger réduisant la presse à un porte-voix du socialisme, c’est-à-dire tout simplement du pouvoir, s’attaque à tout le monde comme si les journalistes étaient des traîtres. Il semble oublier que c’est bien à son époque bénite qu’Alger Républicain fut mis sous la botte d’El Moudjahid, contribuant ainsi au musellement d’une voix différente, certes peu discordante. Il faut dire que de belles hirondelles ont connu de mièvres printemps comme Alger Républicain (1963-1965), Révolution Africaine (1963-1965), La République, Algérie-Actualité (1978-1983) ou Echaab (1975), mais elles furent toutes lamentablement liquidées. Il se trouve que les journaux ont connu essentiellement des directeurs sans force, incompétents notoires, inconnus dans le jeu de l’écriture journalistique, mais qui excellent dans le croisement des ciseaux à tel point que même les saisons et les noms étaient censurés.
Aujourd’hui, après toute une série de luttes engagées par des journalistes et par une volonté intéressée d’hommes politiques comme Mouloud Hamrouche, les titres privés qui n’ont absolument rien d’indépendants (l’indépendance est une illusion), sont là, avec leurs faiblesses et leurs forces, mais semblent poser problème à des gouvernants encore trop habitués à ne lire que des journaux, illustrateurs du discours officiel, un peu à l’image d’El Moudjahid ou d’Echaab.
On ne peut comprendre la situation actuelle si on ne cerne pas le contexte historique qui a permis l’émergence des différents titres privés, du moins les plus influents et les plus vendus. Certes, au début, Mouloud Hamrouche, déjà bien avant qu’il devienne chef du gouvernement, au temps où il était à la présidence, avait déjà cherché à mettre en œuvre un paysage médiatique privé, mais avec des arrières pensées très claires : le soutien de son action. Ce n’est pas sans raison qu’une fois au gouvernement, il nomme tous ceux qui avaient fait un chemin avec lui, dans une semi-clandestinité à des postes de direction des organes publics et il apporte une aide conséquente aux nouveaux titres privés. C’était la mode des directeurs et des journalistes « réformateurs ».
Ainsi, les journaux privés qu’on avait maladroitement affublé du qualificatif malheureux d’« indépendant », héritage de la presse publique et des multiples contradictions du « système » politique algérien, allaient s’imposer sur la scène publique et souvent fonctionnant comme des espaces politiques, marginalisant dangereusement tout travail d’investigation. Tout se fait au niveau des sièges centraux ou de certains bureaux régionaux où exercent des correspondants, souvent non rémunérés ou travaillant carrément au noir. L’investigation exige des sorties d’argent. Ce qui n’est pas du goût de ces nouveaux patrons qui préfèrent investir dans d’autres créneaux comme si l’information n’était pas la raison d’être de ces journaux. Ainsi, la formation des journalistes, le travail sur le terrain pâtissent sérieusement de ces choix éditoriaux qui mettent sérieusement à mal cette « indépendance » en en faisant des organes d’opinion politique.
Le travail journalistique ignore le terrain et flirte tragiquement avec les jeux d’appareils qui limitent considérablement la parole du journaliste portant désormais des oripeaux du militant politique et usant exagérément d’adjectifs qualificatifs et du passé simple qui sont des lieux antinomiques avec l’écriture journalistique. Les dernières élections présidentielles ont mis en lumière ces pratiques trop restrictives et prisonnières de lieux manichéens (Pour ou contre Bouteflika). Dans les deux cas de soutien ou d’opposition, le journal est marqué par une sorte d’assujettissement à un clan ou à un autre perdant ainsi ce qu’on pourrait appeler sa neutralité opératoire. Les hommes politiques algériens, en dehors des arcanes du pouvoir, ont toujours loué, par simple intérêt, les mérites d’une presse libre, mais une fois repêchés dans le gouvernement ou à sa proximité, ils vouent aux gémonies la presse, se permettant même le luxe de se transformer en donneurs de leçons d’éthique et de déontologie journalistique alors qu’ils ignorent tragiquement les métiers de la presse. Il serait intéressant de relire les déclarations de certains ministres actuels et même de chefs de partis, dans les deux postures (en dehors et dans le gouvernement) qui balancent entre amour et répulsion en fonction de la conjoncture et des relations entretenues avec le Président.
Le gouvernement a le monopole de la force et ainsi, il peut imposer son discours, en usant tout simplement de la répression et de manœuvres dilatoires. Tout le monde se met à évoquer la diffamation et l’éthique. Certes, les journaux privés et publics (trop souterrains parce que sans lecteurs) usent à volonté de propos diffamatoires, mais la question serait simple si on la posait ainsi. La question est ailleurs. Tant que la moralisation de la vie politique n’est pas enclenchée, la diffamation traversera tous les espaces sociaux, médiatiques et politiques. Le président ne s’est-il pas attaqué, dans des tribunes étrangères, sans prendre les précautions d’un homme d’Etat à un de ses prédécesseurs, Chadli Bendjedid et n’a-t-il pas traité les journalistes de « Tayabet el Hammam » ? Le débat ne devrait pas se limiter à la presse, mais surtout à la « classe politique » qui devrait mettre en œuvre un conseil de l’éthique la concernant. Les dernières élections présidentielles ont montré les limites et le niveau culturel réel de ceux qui nous gouvernent et de leurs opposants. Le ministre de la communication, M.Boudjema Haichour est bien gentil, mais la diffamation, légale et légitimée pendant une quarantaine d’années par le pouvoir en place et son relais, le FLN, reste encore vivace dans les contrées du pouvoir.
Mais le conflit presse-pouvoir s’expliquerait surtout plus par l’impossibilité pour les gouvernants de dompter un secteur privé visqueux devenant ainsi peu sûr, quelque peu autonome. Ce n’est pas pour rien que les dirigeants refusent d’ouvrir l’audiovisuel au privé considérant les Algériens comme trop peu mûrs, sans intelligence. Tout ce qui peut échapper au contrôle est répudié, rejeté.
Cette attitude est symptomatique d’une pratique du pouvoir autoritaire se permettant l’exclusif droit de donner des leçons de démocratie à sens unique et reproduisant inconsciemment les mêmes pratiques des années de plomb. Mais le problème qui existe aujourd’hui, c’est surtout l’absence de transparence dans le fonctionnement des espaces politiques et des appareils médiatiques.
Dans les deux lieux, l’opacité est la chose la mieux partagée. Ainsi, tous les gouvernements ressortent des affaires d’impayés et d’impôts non réglés en temps de crise et de conflit avec certains titres de la presse privée. N’est-il pas possible d’appliquer les textes législatifs à tous les Algériens, mais non uniquement dans des situations ressemblant à de vulgaires règlements de comptes ?
Les gouvernants n’arrivent pas à appliquer les lois (fraude fiscale, travail au noir…) dans tous les secteurs de la vie économique, de peur parfois peut-être d’indisposer certains « élus », les titres privés qui présentent rarement leurs bilans financiers, disposent souvent d’une comptabilité et d’un fonctionnement opaques.
Un quotidien d’Alger faisant l’actualité risquerait d’avoir de sérieux problèmes avec des associés qui tenteraient de porter l’affaire devant la justice. On parle aussi de la publication d’une liste de personnalités qui auraient bénéficié de largesses de Abdelmoumène Khalifa. Trois « patrons » de presse y figureraient. Donnera t-on tous les noms ou se limitera t-on à quelques personnes qui dérangent ou sont en mauvaises relations avec les dirigeants actuels ? C’est un jeu trop peu sérieux.
Ainsi, la situation est trop confuse dans de nombreux titres où travail au noir et impôts impayés sont monnaie courante. N’est-il pas temps que le gouvernement bouge et tente de régler le problème qui traverse tous les secteurs économiques et sociaux, celui du travail au noir qui nuit également au milieu de la presse qui emploie des correspondants et des « journalistes » sans rémunération ou payés au dessous du SMIG ? Cette situation décrédibilise le métier de journaliste. L’Etat devrait cesser d’être un espace de manœuvres, mais un instrument de régulation. Ainsi, est-il concevable et moral que des titres publics, trop peu vendus, bénéficient de huit à dix pages quotidiennes de publicité ? Ainsi, n’est-il pas temps d’imposer la constitution d’un OJD ( Office de justification de la diffusion), ce qui rendrait les choses transparentes et permettrait à l’éventuel annonceur de connaître le tirage des journaux dans lesquels il fourguerait sa publicité.
Un regard sur les rapports presse-pouvoir pose sérieusement le problème du fonctionnement trop opaque, autoritaire, médiocre des deux institutions qui devraient engager de sérieuses réformes et opérer de profondes transformations. Mais la presse privée a grandement contribué à décloisonner quelque peu la parole et à apporte une pointe positive à certains débats.
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LE QUOTIDIEN D’ORAN dimanche 12 septembre 2004

Hocine Zehouane à propos des «paradoxes de la presse algérienne»
Monsieur le Directeur,
J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur les faits suivants:
N’étant pas lecteur assidu de la presse algérienne, disons pour des raisons de convenances personnelles, c’est par la voix d’un ami que j’ai été alerté sur des propos me concernant relevés dans l’édition de votre journal du jeudi 22 juillet 2004 sous la rubrique «Autrement vu», intitulée «Les paradoxes de la presse algérienne» sous la plume d’Ahmed Cheniki. Dans cette fresque sur six colonnes, couvrant la page entière sous le sous-titre «Journaliste traître», M.Cheniki écrit ce qui suit: «Il est trop facile et trop confortable de se limiter à un discours aux antipodes du savoir universitaire, comme le fait très maladroitement, en restant prisonnier de schémas idéologiques réducteurs, un certain El Hadi Chalabi (la presse algérienne au-dessus de tout soupçon), usant essentiellement de clichés et de stéréotypes bon marché.
Un ancien membre du bureau politique du FLN des années 60, Hocine Zehouane, qui a préfacé l’ouvrage, oubliant les textes pondus à son époque, la charte d’Alger réduisant la presse à un porte-voix du socialisme, c’est-à-dire tout simplement du pouvoir, s’attaque à tout le monde, comme si les journalistes étaient des traîtres. Il semble oublier que c’est bien à son époque bénite qu’Alger Républicain fut mis sous la botte d’El Moudjahid, contribuant ainsi au musellement d’une voix différente, certes peu discordante». Fin de citation.
Me limitant au passage sus-cité et sans considération pour l’ensemble de l’article qui se veut une étude éclectique sur la presse algérienne de l’indépendance à nos jours et qui, par excès de présomption, verse dans un laxisme débridé, je vous serais reconnaissant de publier la présente mise au point en guise d’exercice du droit de réponse de ma part. Ceci pour permettre à titre principal aux lecteurs de réformer leur jugement sur les faits invoqués et subsidiairement à M.Cheniki de réajuster ses connaissances historiques.
Les remarques que je ferai à cet effet sont de deux ordres:
1) Remarques de style
2) Remarques de méthode
1- Sur le style
M. Cheniki, sur tout le parcours de son exposé, n’arrive pas à se défaire d’une morgue «d’universitaire» et, à ses yeux, il faut être bardé des titres de sociologue, de politologue et de spécialiste des idéologies (rien que cela) pour parler de la presse algérienne. S’autosuffisant ainsi en tant que porteur d’arguments d’autorité, il marque une distance dédaigneuse à l’encontre de ceux auxquels il a choisi nommément de s’attaquer sans avoir l’élégance ou le simple courage de faire connaître préalablement au lecteur l’objet de la controverse.
Que le lecteur observe ce qui suit: «Il est trop facile et trop confortable de se limiter à un discours aux antipodes du savoir universitaire (c’est nous qui soulignons) comme le fait très maladroitement, en restant prisonnier de schémas idéologiques réducteurs (lesquels ?) un certain El Hadi Chalabi (la presse au-dessus de tout soupçon) usant essentiellement de clichés et de stéréotypes bon marché (sic). De quoi s’agit-il ? M. Cheniki ne livre rien au lecteur. Il s’agit en fait du livre du docteur Chalabi, «La presse au-dessus de tout soupçon», publié aux éditions Ina-yas en 1999.
Ce livre, auquel j’ai eu l’honneur de faire une courte préface, était à l’origine un livre de circonstance. J’en parle en témoin direct pour avoir accueilli le Dr Chalabi chez moi, au moment même où fut révélée cette fonction insoupçonnée de la presse au centre d’une crise politique majeure qui déboucha sur la démission forcée de Betchine puis de Zeroual du sommet de l’Etat.
Des observateurs médusés mais avisés assisteront au déploiement de toute la presse, en grandeur réelle, sur un théâtre d’opération et placée en service commandé au service d’un clan. Elle fut donc en première ligne dans une phase préliminaire où sa fonction opérationnelle était le lynchage médiatique. La violence, le caractère synchronisé de la campagne furent à l’origine de cette révélation d’une «presse au-dessus de tout soupçon».
C’est sur le vif, que le livre s’attacha à démonter la mécanique et les enchevêtrements de cette campagne. Livre de circonstance au départ, il est en passe de devenir un classique.
Toutes les mystifications forgées et entretenues volèrent en éclats, et à ce titre, six ans après, il dérange encore.
Que cela déplaise à ceux qui s’y reconnaissent négativement comme M. Cheniki est parfaitement compréhensible. Mais s’en prendre à l’auteur du livre, juriste réputé spécialiste de la théorie du droit et de l’Etat, auteur de plusieurs ouvrages, enseignant dans de grandes universités françaises, publiciste et polémiste incisif, en des termes qui procèdent d’un esprit d’autosuffisance indigente, voilà qui désole sur le niveau de l’éthique dont M. Cheniki veut se faire le défenseur
2- Remarque de méthode
Dans le même ordre d’idées et visant la courte préface dont j’ai été l’auteur, M. Cheniki soulève malgré lui le problème de méthode et de déontologie.
Il écrit: «Un ancien membre du bureau politique du FLN des années 60, Hocine Zehouane, qui a préfacé l’ouvrage, oubliant les textes pondus à son époque, la charte d’Alger, réduisant la presse à un porte-voix du socialisme, c’est-à-dire du pouvoir, s’attaque à tout le monde comme si les journalistes étaient des traîtres. Il semble oublier que c’est bien à son époque bénite qu’Alger Républicain fut mis sous la botte d’El Moudjahid, contribuant ainsi au musellement d’une voix différente certes peu discordante».
* Problème de déontologie d’abord: journaliste et visiblement imbu, M. Cheniki doit s’abstenir d’aborder des faits historiques qu’il ne connaît pas. «Un ancien membre du bureau politique des années 60, Hocine Zehouane... etc». J’ai posé la question à un enfant de 14 ans sur l’Algérie en 1960 et la réponse fut: harb (la guerre).
L’Algérie était en effet en guerre, il n’existait aucun bureau politique du FLN dont je pouvais être membre et je me trouvais personnellement dans le maquis en wilaya 3, en plein plan Challe. Est-ce là une dérive laxiste qui tient aux moeurs ou à une inculture grossière sur l’histoire ? Si on n’est pas responsable de ses ignorances, en revanche on est bien comptable de ses prétentions didactiques.
* Problème de méthode:
«Oubliant les textes pondus à son époque, la charte d’Alger, réduisant la presse à un porte-voix du socialisme», etc. Ce langage de basse-cour atteste que M. Cheniki ignore ce dont il parle. La charge d’Alger fut un document dense, inégalé à ce jour, malgré les différents plagiats dont il a été l’objet ultérieurement.
Son élaboration amorcée au lendemain de la crise de l’automne 1963 demanda près de 6 mois de travail au sein d’une commission de près de 60 membres de novembre à avril 1964. C’était à la hauteur des rêves et des utopies anti-impérialistes et anti-colonialistes sous l’influence ascendante du mouvement afro-asiatique et tiers-mondiste.
Rechercher les conditions de production d’une oeuvre et ensuite en saisir la trame sémantique doit être la préoccupation de toute critique sérieuse et par nécessité empreinte de modestie. «Il semble oublier que c’est à son époque bénite qu’Alger Républicain fut mis sous la botte d’El Moudjahid, contribuant ainsi au musellement d’une voix différente». Outre l’expression de légionnaire, ce passage soulève deux questions de fait: 1: qui feint d’oublier et pour quelle cause ? Et 2: qui dénature les faits historiques par ignorance, légèreté professionnelle ou intention malicieuse ? Le projet de fusion d’Alger Républicain avec Le Peuple - et non El Moudjahid, qui n’existait pas encore -, doit être reconstitué comme suit: la demande de l’équipe d’Alger Républicain de fusionner avec Le Peuple fut annoncée par Ben Bella à la tribune du Congrès du FLN le 20 avril 1964, alors que nous étions à la veille de la clôture des assises. Il n’y avait encore aucune institution désignée et nous étions tous, au sens des dispositions statutaires, de simples congressistes.
Après l’adoption des textes de base et des résolutions et la désignation du Comité central et du Bureau politique, s’en suivit une période d’affairements et d’occupations diverses jusqu’à fin juin.
A ce moment, je reçus la mission de présider la Commission centrale d’orientation. Le voeu de fusion annoncée fut complètement oublié et c’est vers le printemps 1965 que Ben Bella es-qualité de secrétaire général en demanda la concrétisation. Les premiers contacts pris auprès des équipes du Peuple puis d’Alger Républicain augurèrent déjà de sérieuses difficultés.
Les membres du Peuple, conscients de leurs limites professionnelles et intellectuelles, étaient pris de panique à l’idée de se fondre avec ceux d’Alger Républicain, réputés être d’une autre stature. De l’autre côté, de sérieuses réserves étaient perceptibles, même si elles n’étaient pas ouvertement affichées. Henri Allègue, que j’avais reçu au siège de la commission place Emir Abdelkader, me fit l’impression d’être sous l’effet d’une situation forcée. Sa réserve fut exprimée ainsi: «Je ne veux pas être l’européen de service. Si je prends des fonctions, je veux qu’elles soient effectives. Et d’ajouter: je ne dis pas ça pour toi».
Les choses en furent là quand arriva le 19 juin. L’équipe d’Alger Républicain et la direction du PCA décidèrent de saborder le journal pour ne pas donner l’image de cautionner le coup d’Etat. Les supplications assorties de menaces du responsable du commissariat politique de l’armée pour continuer la publication furent vaines.
La suite est bien connue des initiés. Les membres d’Alger Républicain furent soit arrêtés, soit réduits à la clandestinité ou à l’exil. Sans anticiper sur d’autres commentaires tenant à cette phase cruciale, disons que là s’arrête l’histoire du projet du fusion. M. Cheniki devra sa démystifier lui-même ou reconnaître sa mauvaise foi.
Ce qu’induit une telle remise en ordre des faits qu’il invoque à l’appui de ses jugements, c’est qu’il a recours à l’argumentation ad-hominiem par laquelle on cherche à confondre un adversaire: non point en attaquant ses thèses qu’on aurait alors l’obligation de présenter, mais en grappillant sur le terrain de ses activités ou de son discours des propos ou des actes susceptibles d’être présentés comme un discrédit envers lui.
L’argumentation ad-hominiem est connue des théoriciens de la polémique comme dangereuse pour son propre utilisateur parce qu’elle peut révéler, une fois mise à nu, les insuffisances ou la mauvaise foi de son auteur. Elle est le subterfuge de la démunition ou vulgairement de quelqu’un qui n’a pas les munitions de son combat: Schopenhauer qualifie de vulgaire artifice l’usage de l’argument ad-hominiem, et La Bruyère affirme dans les Caractères qu’une erreur de fait jette un homme dans le ridicule. C’est ce qui arrive à M. Cheniki.
Se voulant porteur d’une contre-critique à la critique de «La presse algérienne au-dessus de tout soupçon», il est sous le défi d’avoir les moyens de ses prétentions ou de se réduire aux prétentions de ses moyens. Or, il ne fait ni l’un ni l’autre et il se fourvoie dans l’invocation de repères historiques qu’il dénature par ignorance ou par mauvaise foi.
De là, usant de la manoeuvre de la victimisation pour s’attirer la complicité des journalistes, il forge le repoussoir de «journaliste traître» qu’il vient puiser dans la préface sus-visée, pour le placer en sous-titre alors que, de bonne foi, aucun lecteur averti ne peut relever une quelconque accusation de cette nature envers qui que ce soit parmi les employés de la presse. Et d’ailleurs, il faut être stupide pour parler de trahison en matière de polémique intellectuelle, chacun par réversibilité du terme pouvant être le traître de l’autre Par besoin de rigueur de lecture et d’interprétation, les choses doivent être claires.
La préface de «La presse algérienne au-dessus de tout soupçon» traite de la presse en tant que système de pouvoir chargé de fabrication d’images et de sens dans un contexte algérien complexe, volontairement brouillé à l’extrême avec des enjeux de société considérables. Et la tâche que je m’étais impartie sur deux pages à peine pour saisir la quintessence du livre du Dr Chalabi était:
1/ de dévoiler l’imposture et
2/ de conjurer la mystification
Comment puis-je alors prendre les journalistes pour des traîtres ? C’est parfaitement antinomique de couvrir sous le même moral les nègres et les négriers, les ouvriers et les capitalistes. Si M. Cheniki a eu écho de sa propre voix intérieure pour s’imprégner de cette accusation, je voudrais le désabuser, si ça peut l’en guérir.
Reste, après toutes ces considérations tenant aux questions de déontologie et de méthode, à tirer une conclusion: faut-il plaindre ou blâmer ? A chaque lecteur de refaire sa religion. Pour ma part, je laisse à M. Cheniki en guise de fait justificatif le bénéfice de l’excuse de sa propre formation.
Parfaite considération

Réponse de Cheniki:

Cher Monsieur,
Décidément, le langage des anciens et des nouveaux «élus» du pouvoir reste encore traversé par les mêmes mots, une certaine arrogance et le verbe trop peu retenu caractérisé par un langage manquant parfois de correction. L’ancien membre du bureau politique du FLN des années soixante, M. Hocine Zahouane qui célèbre dans ce texte les vertus d’une «charte d’Alger» marquée par la célébration du pouvoir unique et de la mise à l’écart de toutes les libertés, use de mots trop peu élégants pour se défendre contre une situation qu’il a vécue. En guise de «mise au point», ses propos trop peu nuancés et se caractérisant par un manichéisme outrancier, confortent tout simplement notre analyse. A propos, de 1963 à 1965, M. Zahouane qui découvre les vertus des droits de l’homme bien après les malheurs qu’il a connus juste après le coup d’Etat du 19 juin 1965, n’a jamais levé le petit doigt pour dénoncer les multiples atteintes aux libertés commises sous Ben Bella. Mostéfa Lacheraf et bien d’autres étaient exilés et même parfois liquidés. Votre voix s’illustrait par l’absence...
Je n’emploierais pas, M. Zahouane, ce que vous appelez le langage de «basse-cour» par respect à l’officier de la wilaya 3 et aussi, cela va de soi, par éducation. Les lecteurs vous pardonneront peut-être vos excès de langage. Dans ma carrière de journaliste où j’ai connu licenciements, mises à pied et d’autres types de torture psychologique et sociale pour avoir défendu un métier, le journalisme, hors les sentiers partisans, j’ai l’expérience de ces mises au point trop lascives pour être vraies que se plaisaient à m’inonder les chefs d’alors. Oui, vous étiez membre du BP du FLN dans les années soixante (au pluriel, 64-65), vous étiez un des rédacteurs d’une charte d’Alger trop contraignante et trop peu libre, un texte trop bavard, manquant tragiquement d’économie et prisonnier de schémas trop liberticides et célébrant le parti unique et le pouvoir unique, excluant toute idée de pluralisme et de multipartisme. D’ailleurs, ce ne fut qu’un simple papier, les véritables ébats étaient ailleurs. Ce qu’on appelait à l’époque «la gauche du FLN» avait l’illusion de détenir le pouvoir mais ne savait pas que l’essentiel se faisait ailleurs, hors des textes trop éloignés de la culture de l’ordinaire.
C’est extraordinaire, vous attaquez une presse que vous ne lisez pas. Je n’y comprends rien. S’il vous plaît, M. Zahouane, nous ne sommes plus en 1973. La «presse» n’est aucunement responsable des actes iniques que vous avez subis lors de votre arrestation après 1965. Avant de vous en prendre à la «presse», au moins lisez-la. Vous êtes libre de lire ou de ne pas lire cette presse que vous ne semblez pas aimer. C’est votre droit le plus absolu. Je laisse le soin au lecteur de déceler où se trouve la mauvaise foi. Vous semblez trop aimer les généralisations. Vous réduisez la «presse» algérienne à quelques titres comme vous semblez considérer que la presse est un appareil où il n’y a nulle trace de contradictions, où il y aurait des «nègres» et des «négriers», des «ouvriers» et des «capitalistes». C’est une vision trop étroite, trop manichéenne et trop réductrice. Je ne sais si vous avez lu mes articles sur l’affaire Betchine où j’estimais que de sérieux glissements professionnels marquaient le territoire de certains organes de presse qui étaient tombés dans la diffamation et dans les travers (généralisations abusives, non vérification des sources et des faits rapportés...) qui caractérisent votre préface et ce texte que vous qualifiez trop rapidement de «mise au point». Vous avancez des informations fausses dans le but de conforter votre discours : «déploiement de toute la presse», « sa fonction opérationnelle était le lynchage médiatique». Ainsi, je vous défie de trouver un seul article dans «Le Quotidien d’Oran», par exemple, qui s’attaque à Betchine. Il faut, cher Monsieur Zahouane, éviter les généralisations. Vous réduisez toute la presse algérienne à quatre organes de presse. Ce qui est trop peu sérieux. En plus, vous me faites dire des choses que je n’ai jamais écrites dans mon article : «à ses yeux, il faut être bardé des titres de sociologue, de politologue et de spécialiste des idéologies (rien que cela) pour parler de la presse algérienne». Je découvre. Je n’ai jamais parlé de fusion avec El Moudjahid, je n’ai pas cité «Le Peuple» (vous pouvez consulter d’autres articles où j’en parle) parce que comme vous le dites, j’ai pris le parti, certes trop subjectif, de le considérer trop peu sérieux. Schopenhauer que vous citez disait aussi que l’auto-célébration est un mal endémique qui grise les mauvaises consciences et ossifie le temps. Vous parlez de «victimisation», je ne vois pas du tout pourquoi. Je suis fier de ma formation : mes études à l’université d’Alger et Paris-Sorbonne (Doctorat et habilitation à diriger des recherches). J’enseigne dans une université algérienne et dans deux universités françaises comme professeur invité. Je n’ai pas voulu m’installer à l’étranger parce que j’estime que je suis plus utile ici en Algérie. C’est mon choix. Chacun est libre de ses choix. Je suis auteur de livres. Je dirige des thèses en Algérie et à l’étranger, mais je préfère, cela va de soi, mes étudiants d’Algérie et mes lecteurs qui ont le droit absolu de juger mes prestations. Vous pouvez aussi rire de ce que vous pourriez appeler mon «nationalisme débridé». Par respect pour le lycéen qui a rejoint le FLN, je m’arrêterais là.
Et dire que M. Zahouane fut un responsable national du FLN, un parti qui n’a jamais reconnu les libertés fondamentales de l’Algérien. Avec mes respects.
Ce qui est extraordinaire, c’est qu’au moment de la réception du courrier de M. Zahouane, les autorités consulaires françaises de Annaba me refusent le visa à la suite des articles publiés dans «Le Quotidien d’Oran» qu’elles auraient jugés peu corrects. Les Français avec lesquels serait signé un traité d’amitié donnent déjà à voir ce qu’ils entendent par «amitié» qui rimerait vraisemblablement avec censure. Ils (je parle d’une certaine France) n’aiment pas que les journalistes algériens traitent de sujets comme les derniers scandales de mises en scène de fausses agressions ou du regard trop réducteur de l’Occident sur l’Algérie et le monde arabe. L’Histoire bégaie fortement.

Ahmed CHENIKI
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Les débats 10-16-08-03
Extraits de :
Le choix cornélien de Larbi Belkheir


(………)

Pour des raisons faciles à comprendre, Larbi Belkheir et la fraction de classe qu’il dirige ont donc choisi en 1999 de soutenir la candidature de Abdelaziz Bouteflika, d’abord parce que cela leur permettait de revenir au pouvoir dans le sillage de leur candidat et ensuite parce que, à choisir entre les rentiers et les libéraux, ils ne pouvaient en fait que faire le moins mauvais des (…). Cette façon d’être et d’agir se reconnaît également dans l’habitude qu’a pris le groupe Larbi Belkheir d’occuper, en plus des filières économiques et financières, tous les espaces politiques et médiatiques susceptibles d’en faire un élément central de la vie politique algérienne. C’est ainsi que sur les 60 partis existants ou ayant existé, Si Larbi a directement ou indirectement présidé à la naissance d’au moins les trois quarts d’entre eux. Tandis que pour ce qui est des journaux privés, il en contrôle en sous- main au moins une trentaine sur les 43 que compte la scène médiatique algérienne. Informé à l’avance de toutes les évolutions décidées dans les différentes sphères de décision de l’Etat, il s’arrange pour investir la place à travers des équipes toutes prêtes à le servir aussi longtemps qu’il déversera sur elles les mannes financières nécessaires.
En dehors de la presse écrite, il s’est également arrangé, jusqu’à une date récente, pour avoir la haute main sur les principaux médias publics lourds, prétextant une fois encore de sa position au centre de l’échiquier politique pour assurer ainsi l’équilibre et la “stabilité” du système. (…)
Abderrahmane Mahmoudi
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Réponse de Larbi Belkheir in: El Moudjahid, 11 septembre 2003

« (…) l’hebdomadaire Les Débats s’acharne sur ma personne, à coup d’allégations mensongères soutenues par des arguments fallacieux.J’y relève une légèreté regrettable, un délire maladif, une indigence intellectuelle, une méchanceté sournoise et gratuite qui sont autant d’insultes pour la noble profession de journaliste pour laquelle j’ai le plus grand respect et dont il livre une bien piètre image.Les propos de l’auteur, qui n’en est pas à sa première sortie, ne sont que des ragots éculés, revus et corrigés à l’aune de l’opportunisme, de pitoyables élucubrations ; l’auteur n’est que la mauvaise plume d’un mercenaire, [O.D: Nous avons du mal effectivement à imaginer ne serait-ce qu'une seconde ce journaliste se permettre de tels"écrits" sans un soutien very hard de quelque képis] mise au service de divagations de salons qui, au-delà des personnes ciblées, font du tort à l’Algérie et à ses institutions.N’en déplaise à l’auteur de cette ignominie, j’assume mes convictions (…), je ne fournirai même pas l’occasion au pitoyable auteur de ces diffamations et de cette infamie de s’en expliquer devant la justice. J’ai trop de respect pour la justice. Je ne demanderai pas même à exercer mon droit de réponse légitime. Car de tels propos ne méritent que mépris et doivent finir dans la poubelle».

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