Arezki Aït Larbi. Journaliste : « Le DRS joue un rôle prépondérant dans le contrôle de la presse »
El Watan, 4 avril 2010
- La presse « présumée » indépendante, comme tu le dis si bien, n’a, en définitive, qu’un « seul rédacteur en chef » : le DRS. Jusqu’où cette affirmation peut-elle être vraie ?
Le DRS joue un rôle prépondérant dans le contrôle de la presse, comme de la vie sociale et politique en général. Mais il n’est pas le seul. La responsabilité d’autres secteurs du Pouvoir, comme la justice ou la communication, ne saurait être occultée, même si ceux qui la détiennent légalement ont abdiqué leurs prérogatives dans les faits en se cachant derrière les « traditions » du sérail. Avant de dénoncer les pressions, bien réelles, du DRS ou d’une quelconque autorité, la profession doit d’abord répudier ces réflexes de soumission clanique, d’allégeance tribale et de complicités mercantiles qui garantissent quelques privilèges, mais au prix de graves entorses déontologiques. La responsabilité des patrons de presse est entière ; les plus serviles n’hésitent pas à devancer les désirs de l’autorité, avec comme enjeu essentiel une part de la rente publicitaire. Si l’abus de pouvoir est une réalité condamnable, l’abus d’obéissance, dont il n’est le plus souvent que le reflet, ne l’est pas moins.
- La liberté de la presse (des journalistes) ne serait-elle qu’un mythe ?
Les lois – écrites – de la République, à commencer par le très controversé code de l’information, garantissent au journaliste un exercice relativement libre de son métier. Mais la liberté, pour la presse comme pour le reste, n’est jamais acquise ; elle reste un combat permanent. Ce n’est un secret pour personne que des journalistes, et singulièrement des patrons de journaux, prennent régulièrement leur prêt-à-penser à la caserne de Ben Aknoun, sans qu’on leur mette un pistolet sur la tempe. Au demeurant, ils ne s’en cachent même pas. Pour faire carrière, il est préférable de monnayer une échine flexible que de faire valoir un CV professionnel fait de reportages audacieux, d’analyses pertinentes ou d’enquêtes documentées. Et l’on arrive à confondre entre l’information et la délation. Plus grave, des journaux bien protégés, notamment arabophones, ne reculent ni devant le propos raciste, ni la violation de la vie privée, ni même l’appel au meurtre. Autant de délits qui relèvent plus du code pénal que de la liberté d’expression.
Le parquet, d’ordinaire si prompt à s’autosaisir pour défendre la réputation d’un officiel éclaboussé par quelque scandale, ne se sent pas concerné. Comme la justice sous influence, la presse, peu crédible, passe dans son ensemble pour un simple appendice des appareils politico-policiers. Pour redorer une image écornée, convoquer les martyrs de la profession comme ceinture de chasteté éthique ne suffit plus. Il est temps d’en finir avec le corporatisme de maquignons et les solidarités biaisées pour assumer la confrontation autour d’une valeur essentielle : l’éthique. Une note d’espoir toutefois. Dans les rédactions, de jeunes journalistes jaloux de leur autonomie et attachés aux valeurs qui font la grandeur de leur métier refusent de se laisser entraîner dans le sordide.
- Peux-tu nous raconter les déboires que tu as eus avec les « services » pour te faire accréditer comme correspondant de la presse étrangère, le Figaro notamment ?
J’ai déposé un premier dossier en 1995 comme correspondant de Libre Belgique. Il est resté sans suite. Interrogé par le directeur du journal sur le motif de ce blocage, un diplomate de l’ambassade d’Algérie à Bruxelles répondra : « M. Aït Larbi n’a pas été accrédité parce qu’il appartient à une organisation extrémiste clandestine ! » Une accusation d’une extrême gravité que le préposé à la délation, actuellement ambassadeur dans un pays d’Afrique, refusera toutefois de confirmer par écrit. En 1996, je dépose un autre dossier au nom du Figaro. Le fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères en charge des accréditations m’informe qu’une éventuelle réponse positive était subordonnée à une « entretien amical » avec un certain commandant Fawzi, dont il se proposait de me remettre le numéro de téléphone pour « convenir d’un rendez-vous et prendre un café ».
Pour avoir refusé de me soumettre à cette curieuse procédure qui n’est prévue par aucun texte de loi, mon dossier restera bloqué. Le même sort sera réservé à deux nouvelles demandes, en 1998 et en 2003. Je dois reconnaître toutefois que, même sans accréditation, je travaille toujours librement, sans subir une quelconque pression des autorités. Cela dit, si une carte d’accréditation facilite le contact entre le journaliste et les officiels, elle ne saurait être considérée comme une autorisation d’écrire.
- Il se dit aussi que le colonel Fawzi détient le pouvoir de vie ou de mort sur de nombreux titres de la presse... Que pour obtenir le précieux sésame pour lancer une publication, il fallait rentrer au préalable dans les bonnes grâces du colonel.
En février 2005, j’ai déposé auprès du procureur de Hussein Dey un dossier pour la création d’un hebdomadaire. Première entorse à la loi, le magistrat a refusé de me délivrer le récépissé prévu par le code de l’information. Depuis cinq ans, je suis ballotté entre le ministère de la Justice et celui de la Communication. On a même refusé de me notifier une réponse négative pour me permettre de faire valoir mes droits devant le Conseil d’Etat. L’année dernière, plusieurs nouveaux journaux ont été autorisés à paraître, sauf le mien. Il y a quelques mois, j’ai eu le fin mot de l’histoire. Des fonctionnaires des ministères de la Justice comme de la Communication m’ont avoué que mon cas les dépassait, avant de me conseiller de voir le colonel Fawzi qui, selon eux, est le seul à pouvoir débloquer mon dossier. Je ne connais pas ce colonel et je n’ai aucune raison de me soumettre à une démarche qui n’est prévue par aucun texte de loi. Je m’interroge toutefois sur le mobile de cet acharnement.
Par Mohand Aziri.
[in: http://www.algeria-watch.org]
Chapeau à El-Watan qui sait parfois s'autoflageller.
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Arbitrairement suspendu : La Nation, ce trouble-fête
El Watan, 4 avril 2010
Si, depuis la libéralisation du champ médiatique, les titres de la presse indépendante se sont multipliés, de nombreux journaux, par contre, ont disparu en cours de route, et souvent pour des raisons politiques.
La presse d’opinion est celle qui en a fait les frais, dans la plupart des cas. L’un des titres qui a symbolisé cette presse a été incontestablement l’hebdomadaire La Nation. Un journal qui a été suspendu, en décembre 1996, non pas pour des raisons financières comme voulait le faire accroire le pouvoir de l’époque. Mais il s’agit tout simplement d’une suspension politique. Tout le monde se rappelle le communiqué du ministre de l’Intérieur, Abderrahmane Meziane-Chérif, annonçant la suspension de la publication dirigée par Salima Ghezali. L’argument du ministère de l’Intérieur ? « Parce qu’il portait atteinte à la quiétude publique », a-t-il justifié. Comble de l’arbitraire ! « La Nation a été un journal à part dans un contexte de guerre. Il s’est inscrit à contre-courant de l’ambiance qui dominait l’espace politique et médiatique de l’époque », se rappelle un des anciens journaliste du canard. La Nation avait fait un choix éditorial aux antipodes du discours dominant.
« Chaque semaine, le journal provoque la rage et la fureur de la confrérie (pouvoir), car au moment où tout le monde plaidait la cause du pouvoir, sous prétexte de s’opposer au péril vert, nous, nous défendions clairement la paix. Nous avons clairement affiché notre soutien à la réconciliation nationale, ce qui n’était pas du goût des maîtres du moment », a-t-il ajouté. Pour lui, La Nation se voulait être un journal d’opinion, mais sans pour autant négliger le travail journalistique classique de collecte d’informations. « Contrairement aux autres journaux, qui imposaient à la société une seule lecture des événements, à La Nation nous faisions un travail de pédagogie. Dans une ambiance de confusion, on a insisté sur le devoir du rétablissement des mots qui avaient complètement perdu leur sens. Tous les journaux étaient des journaux d’opinion, seulement certains assumaient courageusement leur choix, d’autres non », se plaît-il à rappeler. Très radical dans sa critique à l’égard du pouvoir, la Nation est devenue une voie discordante et dérangeante qu’il fallait étouffer. 15 ans après son injuste suspension, la corporation ne semble pas encore prête à débattre sereinement de la manière avec laquelle la presse a évolué. Saïd Djafar, un des principaux journalistes de La Nation, a, pour sa part, estimé que « la presse algérienne n’a pas encore évalué cette période. Il faut qu’on ouvre un débat sérieux pour dire comment nous avons travaillé dans un contexte de guerre. Si on ne se parle pas, on ne pourra pas avancer », car il y va de l’avenir du pays et de la démocratie.
[In algeria watch.org]
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Me Khaled Bourayou. Avocat : « On fait du journalisme un métier à haut risque pénal »
El Watan, 4 avril 2010
Quelle appréciation faites-vous des 20 ans de presse libre ?
La presse algérienne a 20 ans d’existence, c’est peu dans la vie d’une presse lorsque l’on sait que la presse en Europe est née aux XVIe et XVIIe siècles, mais c’est aussi beaucoup puisque je ne pense pas que dans l’histoire contemporaine on puisse trouver une presse qui a tant payé : nous avons près de 80 journaliste assassinés. La presse chez nous offrait un projet de société, de liberté, de tolérance et de démocratie. Elle a eu à souffrir des pressions de l’Etat, mais aussi du notable du coin. La presse irrite. Aujourd’hui, s’immiscer dans la gestion publique et des biens de la collectivité, lutter contre la corruption, les malversations, ne peut que déranger. Mais imaginons, un tant soit peu, ce vide sidéral, si elle n’existait pas ; le pays serait une vaste prison, s’il ne l’est pas déjà. Nous avons une presse républicaine, légaliste qu’on trouve le moyen d’avilir, de marginaliser et d’étouffer.
La loi sur l’information (loi n°90-07 du 3 avril 1990 ) a été renforcée quelques années plus tard par un nouveau dispositif...
Revenons tout d’abord à la loi sur l’information du 3 avril 1990, censée être le socle fondateur de la liberté d’expression. Cette loi a été imposée par les événements d’Octobre, par la nécessité d’une ouverture faite d’une façon frileuse, uniquement pour la presse privée, mais pas pour les médias lourds. On avait créé un Conseil supérieur de l’éthique et de déontologie (CSED), éphémère. Pourquoi tout cela ? Pour fermer à jamais toute velléité d’une véritable ouverture. La loi sur l’information avait ses limites congénitales. Le premier qui a détourné cette loi c’est l’Etat. Aujourd’hui, on soumet, en violation de la loi, toute demande d’édition au régime de l’autorisation. Le premier censeur de la loi c’est toujours cet Etat. Cette loi, faut-il le rappeler, a servi à emprisonner des journalistes, pour les poursuivre dans des affaires criminelles. Cette loi que les journalistes appellent, à raison, code pénal bis, est relayée par le code pénal. Elle prévoit pas moins de 5 poursuites criminelles et 17 délits. En contrepartie de ce dispositif, on trouve une seule disposition en faveur du journaliste, et c’est une contravention. La presse a aujourd’hui ses martyrs. Abdelhaï Beliardouh, qui a été menacé, humilié, avili, poussé carrément au suicide par un notable qui n’avait pas accepté ses articles, en est un exemple emblématique.
Avec l’arrivée au pouvoir du président Bouteflika, la situation a-t-elle changé dans le sens de plus de liberté pour la presse ?
L’ère de Bouteflika n’est pas belle pour la presse, il faut le dire. Les faits le confirment. Deux ans à peine après son installation, on pond une loi, celle de 2001, où on condamne l’offense contre le chef de l’Etat. On a introduit également la responsabilité du rédacteur en chef qui est une manière détournée de casser la hiérarchie fonctionnelle et perturber l’organisation et mettre en compétition les prérogatives dans les rédactions. La presse subit encore plus l’opprobre quand elle a commencé à s’intéresser aux affaires de corruption. Le malheur, c’est que si l’Etat était ouvert à la presse, il y a longtemps qu’on aurait mis un terme à ce phénomène. Partout dans le monde, on offre des protections aux journalistes. Aujourd’hui, nous n’avons pas les « faits justificatifs », c’est-à-dire les protections ; quand vous apportez la preuve d’un fait vous être renvoyé en fin de poursuite. Un cas assez anachronique de cette situation : à la fin 1990, la RTA et Derradji déposent une plainte contre El Watan, qui met en évidence l’illégalité de la procédure d’accès à la publicité. Je prends attache avec Abdelaziz Rahabi, ministre de la Communication, qui nous donne une lettre à présenter au tribunal selon laquelle, les faits rapportés par le journal sont vrais et qu’il y a une procédure irrégulière de gestion de la publicité. La preuve donnée est vite rejetée par le tribunal et le journal est au final condamné. Aujourd’hui, on peut poursuivre un journal sans plainte, c’est le parquet qui s’autosaisit. Le délai de prescription de 3 mois à 3 ans.
Dans certains cas, cette même presse ne « prête-t-elle pas flanc » en n’adoptant pas les règles de l’éthique. Certains journaux ont même suscité de l’« agacement » en raison de leur manière de traiter l’information...
La presse a sa responsabilité. Qu’est-ce qui fait que la presse aujourd’hui, à part quelques journaux, n’est pas professionnelle ? Parce qu’elle n’a pas eu le soutien de l’Etat, parce qu’elle n’accède pas à l’information, parce que c’est une presse qui a tourné le dos aux efforts consentis par Zoubir Souissi, en tant que président du CSDE. La presse doit, aujourd’hui, se méfier des manipulateurs. En Nahar n’est pas responsable d’une information qui lui a été donnée, mais aurait dû la vérifier. Si le journal était plus vigilant, je pense qu’on aurait pu éviter de telles situations. Est-ce qu’il y a de la manipulation ? Je ne le pense pas, mais je pense qu’il y a eu quelque part absence de vigilance.
Vous dites, vous-même, qu’on aurait pu éviter plusieurs procès intentés à la presse…
Ma préoccupation majeure, en tant qu’avocat de certains journaux, est de veiller à ce que la presse tire les meilleurs enseignements des procès. Comme disait le philosophe Gaston Bachelard, « la connaissance est la somme de toutes les erreurs corrigées ». A ce titre, j’insiste sur le droit de réponse qui est un droit général et absolu. On aurait pu éviter certains procès si le droit de réponse était publié dans les délais où ils doivent être publiés. Il est, aussi, nécessaire, je sais combien c’est difficile, de vérifier l’information.
L’avenir de la presse sera-t-il identique à son présent ? Y aura-t-il, selon vous, une volonté de l’Etat d’apaiser ses relations avec les médias ?
Je pense que c’est vrai que la presse a besoin d’une loi qui la protège, qui organise l’activité journalistique, qui la structure, qui permet aux journalistes de mieux de se défendre. Il faut aussi la responsabilité de l’Etat qui doit renforcer les structures de formation et d’aide la presse. Il importe aussi que l’Etat garantisse le droit à l’accès à l’information. Il faut aller vers la dépénalisation, cela veut dire soumettre le journaliste à des peines et non pas à la prison, mais je dis que la question de la dépénalisation n’est pas aussi importante que la protection. Donnez-moi la protection et mettez-moi en prison. Il faut faire en sorte que le délit de presse relève du juge et non de la police ; il faut que le journaliste soit à l’abri de la pression de l’interpellation. On a abusé de cette procédure pour que le journaliste ne soit pas accompagné de son avocat, qu’il n’ait pas connaissance de son article, qu’il ne puisse pas préparer sa défense. On fait du métier de journaliste un métier à haut risque pénal. Il faut qu’il y ait une volonté politique affichée et sincère qui, aujourd’hui, doit mener le pays vers une véritable démocratie, vers une société plurielle. Nous ne pouvons pas aujourd’hui faire dans la mauvaise foi et dire que c’est un pays démocratique. Ce pays n’a d’avenir que dans la démocratie et les libertés. On ne peut pas avoir, toutefois, une presse indépendante sans une justice forte, toute la question est là. Telle qu’elle est structurée aujourd’hui, la justice est un instrument de répression. Il faut que la seule justice de l’Etat soit la loi.
Par Nadir Iddir
[In Algeria watch.org]